Spring Dawn (aube de printemps)
C'est une chose étrange, à la fin, que ce monde. On se demande parfois si les coïncidences sont fortuites ou si quelqu'un (ou quelque chose de mystérieux) s'ingénie à les provoquer. On se demande parfois si c'est nous qui cherchons des objets ou si ce sont les objets qui nous trouvent ...
Ce matin, en ce premier jour de printemps, je partais de bonne heure en direction de la chine, c'est à dire vers un obscur village du Berry Oriental que personne ne connaît, qui figure à peine sur les cartes, et que seule Juliette, la Dame du GPS, semblait ne pas ignorer totalement. Me laissant guider par la douce voix synthétique, j'arrive donc sans encombres au lieu indiqué par le "Guide des brocantes de l'Indre" , le Saint Livre qui est au chineur ce que l'Evangile est au Chrétien, ce que la Sardine est à l'Huile.
Ah ! le premier vide-grenier de la saison ! Qu'il est attendu ! On rêve à des merveilles, à des objets rares qu'on va pouvoir s'offrir pour une poignée de roupies, à des oeuvres d'art inestimables à prix discount, bref au Saint Graal enfin trouvé, au Nirvana du chineur enfin réalisé après de longs mois d'hiver interminable.
Las ! ce ne fut point le cas, et le seul stand qui mobilisa un instant mon attention gourmande fut celui de "Saveurs et Traditions du Berry" qui proposait un étalage de pâtés berrichons, galettes à la patate, galettes au fromage, feuilletés aux lumas, feuilletés au chieuve, pains bénis (délicieuse spécialité locale à base de pâte brisée, dorée à l'oeuf de poule noire du Berry). Devant une telle problématique de sélection à choix multiples, qui me dépassait totalement, je décidai de m'abstenir, d'autant plus que le nombre de kilocalories contenues dans ces délicieuses spécialités ne serait pas compensé par le nombre de kilocalories dépensées par la déambulation matinale sur ce modeste vide-grenier.
Et tandis que je calculais mentalement, mon attention fut attirée par un carton de vieux vinyles gisant quelques mètre plus loin. Et c'est là que, sur le point de repartir bredouille, le miracle se produisit. Parmi tous les disques invendables et dépourvus d'intérêt, se trouvait un 25 cm qui m'intrigua au plus haut point. C'était un étrange disque chinois intitulé "Spring Dawn", c'est à dire "Aube de Printemps".
Apparemment, c'était de la musique instrumentale chinoise, mais sans détails hormis une fleur rose, des idéogrammes chinois, qui pour moi sont de l'hébreu, et les titres en anglais, langue beaucoup plus compréhensible par le berrichon moyen.
C'était vraiment trop beau : chiner un disque chinois intitulé "Aube de Printemps" en cette première aube de printemps ! Je demandai le prix au vendeur, bien décidé à l'acquérir quelqu'en fût le prix.
Oh .... une roupie, me répondit-il. Fallait-il que je marchandasse, afin de l'obtenir pour une demi-roupie ? Non, c'eût été indécent. Je sortis donc , magnanime, une roupie de mon porte-roupie en peau de hérisson et je la donnai sans discuter à ce pauvre homme qui brocantait le dimanche pour survivre alors que moi, je me baladais. Je repartis, avec mon disque sous le bras, me disant que j'avais fait une bonne action en donnant une roupie à ce brave homme, qui pourrait désormais manger à sa faim. J'en eus presque une larme à l'oeil.
Et tandis que, au volant de ma Rolls Royce, Juliette me guidait sur le chemin du retour, et que j'écoutais d'une oreille distraite à la TSF les dernières nouvelles de la guerre, je me demandais pourquoi les militaires avaient choisi de nommer "Odyssey Dawn" (Aube de l'Odyssée) leur sympathique opération en Libye, et non pas "Spring Dawn" (Aube de printemps).
Peut-être parce que les militaires ne sont pas des poètes ...
